Thursday, October 14, 2010

Rose si fragile.

Elle s’est mariée jeune. Il l’avait forcée, violée dirait-on aujourd’hui. Elle s’est crue déshonorée, obligée de l’épouser. Même pas enceinte, pourtant. Mais c’était avant guerre, la virginité était obligatoire au mariage, et elle, soumise.

C’était un bon à rien, incapable de garder un travail, fainéant. Et violent, comme souvent les faibles. Il haussait la voix : colère, insultes, et inévitablement, quand les mots lui manquaient, il frappait. Pas alcoolique, non, même pas cette excuse là. Il traînait au café, mais ne buvait pas plus qu’un autre. Juste un tyran domestique, l’enfer conjugal dans une chambre de bonne, à Paris.

Les soirs où il tapait trop fort, Rose fuyait, se réfugiait chez ses parents, pleurant. Mais toujours, ils la raisonnaient, parlaient de scandale, de résignation. Divorce était un mot tabou. Alors la mort dans l’âme, la brebis rejoignait, docile, son bourreau.

Elle gagnait sa vie durement. Chaque sous comptait, des économies de bout de chandelle, tous les jours. Sa fille est née pendant la guerre. C’est la grand-mère qui l’a élevée, les premières années. Et puis quand la petite a eu trois ans, un jour, il a cogné sur Rose plus fort que d’habitude. Trois côtes cassées. A cette époque, elle faisait le ménage à la sécu. On l’a aidé, soutenue. Un médecin lui a fait un certificat, une amie l’a convaincue de demander le divorce : torts partagés, il a compté jusqu’aux épingles à cheveux pour diviser en deux les biens du ménage  – Pourtant il faut lui rendre cette justice : au seuil de la mort, le souvenir du mal qu’il lui avait fait est revenu hanter sa conscience. Son nom revenait dans ses délires, il implorait son pardon –

Ses parents lui ont fermé leur porte. Une divorcée, la honte de la famille. Elle a mis sa fille en nourrice, à la campagne. Quatre heures de train aller-retour pour la serrer dans ses bras le dimanche. Mais au moins la petite était bien nourrie.

Elle a connu d’autres hommes, espérant le grand amour, le prince charmant, qui la prendrait sous son aile, elle et sa fille. Le malheur n’avait pas terni l’espoir dans son âme romanesque. Naïve, elle succombait à leurs promesses. Ils se sauvaient dès qu’ils avaient assouvi leur désir. C’était une belle femme, mais épouser une divorcée, mère de surcroît, non merci.

Sa fille, c’était son trésor, son ambition. Elle était intelligente, brillante à l’école. Et puis jolie comme sa mère. Une poupée. La poupée a grandi, s’est mariée avec un jeune homme plein d’avenir. Malheureusement son avenir l’appelait en province, alors Rose s’est retrouvée seule. Elle a déménagé, s’est rapproché de sa fille, de ses petits-enfants. Et s’est enfin remariée, se fixant pour de bon. Ce n’était pas le prince charmant, plutôt un compagnon pour la dernière ligne droite, elle avait remisé ses rêves.

L’avenir du gendre le rappelait à paris, Le nouveau mari, lui était inamovible, ancré dans sa ville de père en fils, les copains, les boules, le tiercé le dimanche. Tant pis pour Rose. On la voyait aux vacances. Elle m’aimait. Elle me disait : tu es belle, n’écoute pas les autres. Et : il faut t’endurcir, tu es trop sensible. Tu souffriras comme moi. Elle aimait l’opéra, Maria Callas, elle pleurait en l’écoutant. 

Elle avait des périodes de dépression, cloîtrée au lit, les dents serrées par l’angoisse, suivies par des jours d’excitations fiévreuses. C’est arrivé comme ça, à quarante ans. Troubles bipolaires diraient les médecins. Ou le résultat d’un gâchis, d’une vie malheureuse. Elle ne supportait pas de vieillir, elle qui avait été si belle. Elle ne voulait plus qu’on la photographie qu'en pied.

Un jour elle en a eu assez, Ce livre « Suicide mode d’emploi », elle l’a acheté. Avec ça, on ne se rate pas. Elle a mélangé les pilules qu’il fallait. On l’a retrouvée, affalée sur le lavabo. Est-ce qu’elle a regretté son geste au dernier moment ; est-ce qu’elle a essayé de vomir les cachets alors qu’il était déjà trop tard ?

Elle s'appelait Rose. C’était ma grand-mère. Elle me manque. Je voudrais pouvoir croire en Dieu pour avoir la consolation de savoir qu’elle est toujours près de moi, qu’elle voit son arrière-petit-fils, qu’elle est enfin heureuse. 

Tuesday, October 5, 2010

Statue de papier




Statue de papier
Femme de carton pâte
En équilibre instable
Agenouillée.

Pleure ton amant
L’inécluctable perte
La plaie encore ouverte
Incessamment