Le ciel s'éclaircit. Trainées de bleu sombre. Une seule lumière dans l'immeuble d'en face. Il est tôt. On entend le camion des poubelles.
La chambre est silencieuse sous la lumière blafarde du néon. On nous a déjà apporté notre petit déjeuner, et fait les soins. Mon genou est stable dans son attelle, mes béquilles attendent sagement près du lit de m'emmener faire ma toilette.
Ma voisine s'est enfin assoupie. Elle respire mieux après cette nuit sans sommeil. Douleur lancinante des cicatrices de l'opération, amplifiée par les quintes de toux et la sensation d'étouffement dues à la bronchite. Pas le meilleur moment pour un lifting. Mais je suppose qu'il était programmé de longue date.
Elle a eu droit à l'inévitable "il faut souffrir pour être belle" des infirmières. Et pour souffrir, elle souffre. Atrocement. Et on ne lui a pas donné grand chose pour la calmer.
Souffrir pour être belle, pour rester belle, pour arrêter le temps et revenir en arrière. Gagner quelques années sur la déchéance inéluctable. Gagner quelques années d'amour et de séduction. Ou retrouver un visage en accord avec ce qu'on pense être au fond de soi.

Mais je ne peux plus être aussi intransigeante et moralisatrice. Je vois mon visage vieillir d'années en années et j'en souffre. Et pourtant j'ai la chance de ne pas faire mon age. Alors comment critiquer celles qui sont moins bien loties que moi, dont le visage accuse plus d'années qu'elles n'en ont, alors qu'au fond de leur coeur comme nous toutes elles ont encore trente ans.
Personne ne peut juger personne. J'ai eu beaucoup de leçons sur ce thème ces derniers mois. Et je me retrouve dans la position du juge jugé. Pas confortable. Parcequ'on se juge soi-même. Et il est encore plus difficile d'apprendre à être tolérant pour soi que pour les autres.