Thursday, September 23, 2010

Christian l'intranquille


Première tentative d'aller voir le film dont tout le monde parle samedi dernier, en fin d'après midi. Arrivés pile à l'heure avec Jérôme au Mazarin, un des deux ciné art et essai d'Aix en Provence, et le verdict : complet! Du coup nous sommes allés voir Crime d'amour de A. Corneau. Un thriller assez académique, bien carré, sans rien qui dépasse, distrayant sans plus. Je voulais le voir pour Kristin Scott Thomas, que j'adore, mais sa prestation ne suffit pas à en faire un bon film.

Nous avions donc prévu de refaire une tentative ce soir à 18h, non plus à Aix, mais au multiplex de la zone de Plande Campagne. On assure, la clientèle de la zone commerciale, c'est pas trop le genre du film, donc on aura de la place. On a bien failli arriver en retard, pas vu l'heure passer, occupée à googler "manif retraite" pour avoir les chiffres de participation de l'après midi. J'ai fait ma mère chiante et contraint Raphaël à venir avec nous, malgré sa mauvaise volonté, pour le sortir un peu de ses sempiternelles séries (experts, NCIS, bones)  et films de prédilection soit débiles (genre, les sous-doués ceci cela) ou d'action (Terminator, etc...).

C'est un film beau, lent et long. Je m'attendais à quelque chose de très intello, mais c'est plus dans le registre de l'émotion, un peu facile peut-être. Bon OK, je suis très bon public pour ce genre de truc, et j'ai joué les fontaines au moment du lac des cygnes, ce qui m'a un peu gêné. Les scènes de liturgie sont un peu chiantes. D'après J, c'est pour qu'on comprenne vraiment que leur vie c'est ça, et que ce n'est que ça. Mais j'ai trouvé que ces scènes répétitives de messe étaient vides justement, froides, sans âme. Je comprend certaines critiques qui parlent d'un manque de foi, de spiritualité. Seul le frère Christophe, joué par O. Rabourdin semble transfiguré par la foi lorsque ses doutes et sa peur s'apaisent et qu'il accepte avec sérénité son destin. 

Les personnages des moines sont magnifiques, d'une gracieuse et tendre humanité, tous dans des registres différents. Et au fur et à mesure du film, leur singularité se construit et nous touche. Ils nous deviennent proches, étonnamment familiers comme des oncles ou des grands parents pour qui on éprouverait à la fois une grande tendresse et une admiration mêlée d'étonnement. La distance imposée par le statut de moine et tous les stéréotypes qui y sont associés vole en éclat, et ils deviennent des hommes, humains trop humains, juste des hommes un peu vieillissants, attendrissants, qui semblent parfois dépassés par leur engagement, mais qui vont jusqu'au bout, portés par la communauté et le lien qui les unit, qui est devenu leur seul univers.

La réflexion sur le sens de l'engagement est abordée sans être pesante. Rester ou partir? La tentation de partir pour rester en vie, s'oppose au "partir c'est mourir" du Frère Luc.  Quel est le sens du sacrifice? La question Nietzschéenne de l'égoïsme comme source de toute morale s'incarne dans les doutes du frère Christophe « on est martyr pour quoi ? Pour Dieu ? Pour être des héros ? Pour montrer qu’on est les meilleurs ? » La réponse du frère Christian : "Par amour, toujours par amour" ne répond pas vraiment à la question. L'amour n'est-il pas toujours foncièrement égoïste? N'est-ce pas toujours une certaine image de soi que l'on aime et que l'on projette au travers de tout amour, qu'il soit amour de Dieu, de la liberté, des hommes ou d'un homme?. En cela, Lambert Wilson, avec son ego nerveux et encombrant construit un frère Christian intranquille, dont la sensibilité semble écorchée vive et foi en perpétuel questionnement, à l'opposé du frère Luc, joué par Mickael Lonsdale, dont la foi et l'amour des hommes semble aller de soi, et dont la seule limite à son engagement est la fatigue de son corps usé. Je voudrais arriver un jour au même détachement, et pouvoir dire, "je ne craint pas la mort, je suis un homme libre".



Nuits de la foi en agonie…

Le doute est là, et la folie
d’aimer tout seul un Dieu absent et captivant.
« Mais la souffrance que je préfère,
dit Dieu, c’est quand la femme attend
avant la joie d’enfantement.
Car ces douleurs où l’on espère,
Mon Fils les prend dans sa Passion,
et les soumet à ma Patience. »

Il prie encore dans mon silence
le Bien-Aimé abandonné
dont la détresse et l’espérance ont pris ma voix.
Ce que j’espère, je ne le vois…
C’est mon tourment, tourné vers Lui.
Toute souffrance y prend son sens,
caché en Dieu comme une naissance,
ma joie déjà, mais c’est de nuit !

Christian de Chergé (prieur de Tibhirine), L’invincible espérance.

1 comment:

  1. Je suis RAVIE de connaitre enfin quelqu'un qui écrit un blog...D'autant plus si c'est toi ;-D
    Continue à écrire, je te lirai assidument...J'avais aussi envie d'aller voir ce film, et puis étant crevée physiquement et moralement en ce moment, je n'ai pas encore eu le courage.
    Ta critique est très bien écrite; je ne suis pas certaine que le manque de spiritualité que tu as ressentie me gênerait, n'ayant moi-même aucune spiritualité...Comme tout le monde, j'ai peur de la mort, comme toutes les mères sans doute, j'ai peur de ne pas être là assez longtemps pour mes enfants...mais Dieu n'a pas son rôle à jouer...Un jour peut-être..
    Bonne continuation...
    Ah oui, tu m'épates : un poème en anglais!!!!!!!!

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